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Apparition

Karl Godeg, 1964, huile sur toile, 148 x 94 cm

Le mystère de cette rencontre échappe aux interprétations. L’œuvre impressionne par sa taille et son étrangeté, sur des racines nourricières détachées du sol, flotte comme une météorite, bute sur le haut du cadre, attirée par l’intensité de la lumière.

Sommes-nous en présence d’un personnage unique, demi dieu ou sur-homme ? Ou plutôt d’un couple enlacé dont la danse est esquissée ?

La figure absorbe la lumière de l’anthracite cendré qui la cerne.

Godeg a mélangé peinture, encres, or, autres métaux plus ou moins précieux pour inventer un art de peindre où les réactions de la matière sont essentielles.

L’artiste a bénéficié de son vivant d’un soutien de poids, celui de Eberhard Roters, un historien d’art réputé qui multipliait les titres et les fonctions : directeur-fondateur de la Berlinische Galerie, président de la Société allemande des beaux-arts et de l’Académie des arts de Berlin, et surtout peut-être, co-organisateur de la mythique documenta 5 d’Harald Szeemann.

Pourquoi l’artiste a-t-il pourtant failli rester dans les oubliettes de l’histoire ? Les soubresauts de la partition puis de la réunification allemandes n’y sont sans doute pas étrangers.

Roters était émerveillé par la prouesse de Godeg « d’avoir liquéfié et mis en mouvement la substance de l’or, d’avoir élargi le spectre des nuances, de l’ argenté jusqu’au rouge de rouille et donné une vie nouvelle à toutes ces couleurs, dans la tradition des alchimistes.

Les structures du déroulement de la matière semblent avoir poussé organiquement toutes seules, passant par différents stades de transformation structurelle, des plus fines ramifications jusqu’aux reliefs sublimes par agglomération. Leur union forme un total figuratif, une figure éclatante non saisissable qui semble vouloir nous rejoindre, s’élevant du fond du tableau comme un fantôme, sans pouvoir franchir ses limites. »

J’en ai fait l’expérience : la nuit, à la bougie, les figures des Goldbilder paraissent vouloir se détacher de la toile.

L’artiste semble avoir puisé des profondeurs de la terre l’or resplendissant, l’eau verte des émeraudes, un peu de terre noire qui sertit des points lumineux. Il magnifie une vie silencieuse et lente, irriguée de fils d’or sinueux. Lumière et beauté triomphent de l’obscurité.

Ces œuvres rappellent un peu l’immatérialité de l’or de Yves Klein, dans les années 50, davantage Klimt et l’art nouveau, et toute une culture germanique romantique que Godeg partageait avec Music et Dado et qui correspond bien également à Fred Deux (déjà exposé, ce n’est pas une coïncidence, dans deux musées allemands et dans deux grandes galeries de Berlin).

Fred Deux fut particulièrement sensible à cette alchimie des couleurs. Durant sa dernière période, il s’enfermera souvent dans une petite construction qui jouxtait sa maison pour manipuler différentes substances, parfois sans précautions (il a fallu l’envoyer aux urgences, pour avoir cru qu’une écharpe sur le nez le protégeait des effets d’un demi-litre d’éther !). Cet atelier, il l’appellera du nom russe de « Poustinia », avec tout ce que cela évoque de recueillement.

A.M.

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