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ZORAN MUSIC
Ce qui me touche le plus dans l’oeuvre de Zoran Music, c’est ce curseur entre la beauté et la mort qu’il a déplacé, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, de 1944 à Dachau, jusqu’à à sa mort à Venise, en 2005.
Il est devenu véritablement artiste, en dessinant clandestinement des cadavres, seuls ou amoncelés, sur des petits bouts de papier, sans savoir si lui-même allait survivre.« Le pire, c’est que c’est beau ».
Le grand luxe d’un artiste, c’est de vivre toute sa vie avec seulement quelques images mais qui sont les siennes, me dira-t-il, dans son atelier du XVIème arrondissement, où j’allais le voir, vers 1980, bien avant que j’ouvre la galerie.
À peine sorti des camps, Zoran Music a éprouvé un besoin irrésistible de beauté et de poésie, pour contrebalancer l’atrocité nazie. Ce sera l’époque des paysages dalmates, des chevaux, de Ida qu’il a épousée, le grand amour de sa vie.
Dans les années 60, il s’est, de son propre aveu, un peu égaré dans une abstraction qui n’avait guère de sens pour lui. Du moins jusque vers 1968-1969, où certains tableaux, sous couvert de sommets des Apennins, ombrent la mort qui va s’imposer sans échappatoire dans un cycle difficilement soutenable, Nous ne sommes pas les derniers, en 1970. La vision des camps, qu’il tentait d’enfouir, ressurgit. Il l’a d’abord affrontée en gravures, avant ses dessins et peintures. L’horreur va decrescendo des Motif végétal aux Paysage rocheux, qui nous laissent plus de liberté, pour la découvrir et la surmonter.
Les images de Zoran Music se chevauchent, se répondent ou s’annoncent. Ses créations les plus intéressantes vibrent de l’ensemble de son œuvre. La silhouette de Ida, son épouse, se devine sur un mur de cathédrale, ou derrière les branchages d’un arbre. L’arrondi des collines peut conduire le modelé des épaules ou le croisement des mains de ses autoportraits.
Dans ses chevaux et collines dalmates les plus poétiques, la mort reste parfois en embuscade. Parmi ses motifs végétaux, des branches calcinées encadrent des silhouettes exsangues dans des barbelés. Des crânes surgissent des paysages rocheux. Des maisons vénitiennes suggèrent à la fois la silhouette aimée et le vide de la mort. Dans ses intérieurs de cathédrales, les rosaces encadrent des soleils pâles auréolés de lune. Le monde clos de l’église et la vision de l’extérieur se confondent, comme la vie et le rêve, dans un monde à la fois présent et irréel, détaché du corps.
Des grues et des bateaux sur la Giudecca esquissent des squelettes. Leurs dernières forces de vie créent la beauté de ses autoportraits et de son épouse, Ida.
La présence de la mort confère de la fragilité à un moment de grâce, le rend plus vivant et contribue à un sentiment d’éternité.
On pourrait dire que Zoran Music, né à Trieste, a porté le flambeau du romantisme allemand, de la beauté et de la mort, à la lumière crue des horreurs du XXème siècle autant qu’à celle dorée de Venise et de l’Orient.
La galerie a décidé de participer régulièrement à une relecture de l’oeuvre de ce témoin capital du XXème siècle, qui n’a jamais renoncé à son combat pour la beauté et le sens de la vie.
A.M.
Biographie
1909
1936
1944
1944-45
1945-46
1953
1970
1971
1972
1980
1988
1992
1995
2000
2005
Naissance à Gorizia, ville italienne qui faisait alors partie de l’Empire austro-hongrois
Retour en Dalmatie
Arrêté par la Gestapo, refuse de collaborer avec les nazis. Déportation à Dachau
Dessine en secret à Dachau
Installation à Venise
Music partage désormais son temps entre Paris et Venise
Début du cycle « Nous ne sommes pas les derniers »
Exposition à la Haus der Kunst de Munich
Exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Retrospective à l’Academia de Venise
Exposition d’œuvres sur papier au Centre Pompidou à Paris
Exposition de dessins à l’Albertina de Vienne
Retrospective au Grand Palais à Paris
Venise dans l’œuvre de Zoran Music, musée Cognac-Jay, Paris
Décès de l’artiste à Venise