Menu de navigation

Regard sur Jean Hélion

Jean Hélion, « Trombone pour un peintre », 1983, Acrylique sur toile, 175 x 250 cm

La dernière grande oeuvre de Jean Hélion

Trombone pour un peintre est la dernière grande oeuvre réalisée par Hélion avant la cécité complète. Trois visages sont coupés. La scène continue hors de la toile. Elle contient un autre fragment, le fragment d’un fragment, sur une toile posée sur un chevalet.

Cette mise en abime suggère une réflexion sur la création, sur le peintre et son modèle, la vie et l’art. Le banc, où l’on peut être deux mais dans un lieu public, est peint avec réalisme. Certes, la femme est nue. On devine la coiffure du type de Hélion en peinture, celui des années 40, celui de l’artiste dans la force de l’âge, quand le réel et le corps d’une femme supplantent l’abstraction en s’y mêlant étroitement.

La femme paraît vivante et s’abandonner. Mais ses formes sont plus géométriques que sur le chevalet. L’angle du bras prolonge l’angle des genoux. Le rond des deux seins, les parallèles du cou, la simplification du corps uniformément coloré éloignent de la réalité.

Le chevalet est lui aussi géometrisé, comme le tabouret. Mais sur la toile reproduite la chair est plus riche de nuances de formes et de teintes. Elle est plus voluptueuse, plus fidèle à la réalité d’un corps et d’une caresse. L’artiste d’ailleurs ne s’est pas représenté la peignant mais en en tenant délicatement la cheville. La peinture le rapproche de la vie.

En dessus du banc, dans le prolongement de la cuisse, la géométrie des deux arcs de cercle des pioches donnent son rythme au tableau, comme une musique. On entend presque le bruit suspendu des pioches, leur frémissement. Cette évocation des abstractions de Hélion des années 30 relie la diagonale entre le peintre en bas à gauche et l’ouvrier en haut à droite. Les trois personnages ont presque le même visage, la même veste, deux la même couleur de pantalon. Le rapprochement n’est pas fortuit.

L’homme qui pioche au milieu ne fait qu’un avec son outil qui le prolonge. Le troisième tient le sien comme un violon ou un harpiste qui égrène l’écoulement du temps qui passe et se renouvelle. Sa concentration sur son geste est aussi importante que son but. Ici, creuser un trou signifie dégager la réalité derrière l’apparence, mais aussi suspendre l’instant pour mieux l’approfondir, même dans le feu de la création. Pour l’ouvrier-musicien comme pour le peintre.

Le titre de l’oeuvre, Trombone pour un peintre, prend tout son sens. La musique est importante pour Hélion. On ne voit pas le visage de l’instrumentiste mais ses doigts sur les touches du trombone jouent comme un fond musical la partie supérieure du tableau, pas seulement décorative ou végétale.

L’oeuvre continuera à résister aux interprétation comme toutes les peintures dignes de ce nom. L’étonnant rouge du pantalon évoque les couleurs franches de Manet. Mais, à cette différence près que pour Hélion la peinture a quelque chose à dire, et beaucoup à nous faire dire.

A.M

Posts récents

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *