Less is more
Michel Macréau met à nu son désarroi dans un tableau sobre, presque minimaliste. Peu de couleurs : une dominante rose qui affleure ; un peu de bleu ; un blanc léger qui céruse la toile de jute, celle, sans doute, d’un sac de patates fermé par une une longue couture, comme une cicatrice. Deux accrocs permettent à l’artiste de combiner des fils pour les intégrer à l’œuvre. Un clin d’œil à l’arte povera des artistes italiens de son époque ?
À gauche, le pourtour noir d’un carré rempli de blanc aussi éclatant que vide flotte à hauteur d’une bouche agrafée et du triangle dévié d’un nez évasé, ceux d’ un autoportrait. Visage et buste sont juste dessinés, de quelques traits, comme posés sur le fond de la toile. Un ovale, deux trous noirs aveugles pour des yeux coiffés de près par les voûtes élargies des sourcils qui isolent le front. N’y aurait-il plus rien à voir, ni à dire, ni à penser ? Tout juste respirer, au rythme des couleurs ?
Le visage est solidement soclé sur un buste qui synthétise un thème cher à Macréau : notre double nature, masculine et féminine. Ici, ni violence, ni sexe, ni relations complexes et contradictoires comme souvent dans son œuvre. Plutôt un cri silencieux, existentiel : qui suis-je ? Quel sommes-nous ? Mon œuvre a-t-elle du sens ? Est-ce de l’art ? Dois-je, puis-je continuer à peindre, au delà de l’incompréhension et des blocages psychologiques qui m’entravent et s’aggravent ? Ai-je encore quelque chose à dire qui surgisse de moi quand je peins ? De tout cela, nous parlerons beaucoup plus tard, à la fin de sa vie. Rien d’explicite ici.
La clôture qui borde tout le haut de la toile renforce l’effet cicatrice de la couture et des agrafes.
À gauche du crâne, l’énigme d’une forme peut-être schizophrénique, ou peut-être celle d’une oreille coupée, la sienne ou celle de Van Gogh, plus légère, en symétrie avec la date, 68, dans le même graphisme des effilements.
Less is more.
Parce qu’il n’y a rien d’explicite, cette œuvre dépouillée est l’une des plus personnelles, des plus justes, et des plus riches de sens de Michel Macréau. Il s’est arrêté au plus près de l’insaisissable qui donne de la profondeur à l’art et suspend le temps.
A.M.
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