Musique et peinture
Pourquoi est-il difficile de définir la spécificité des œuvres de Hong InSook, au- delà d’une technique moitié aléatoire, moitié d’une maîtrise exceptionnelle dont très peu d’artistes sont capables ? Des effets de matière rejoignent la poésie des « pierres de rêves », qui éveillent l’imagination mais ne se prêtent pas à l’analyse.
Hong InSook parlait très peu, souhaitant nous laisser libres devant ses peintures qu’elle a toutes nommées Traces, pour ne pas interférer avec notre regard. Elle ne s’expliquait, partiellement, que sur sa technique. En Corée, comme en Chine, le faire a été longtemps plus important que le dire.
Il faut du temps pour saisir le fil conducteur et l’originalité de son apport sur la scène artistique contemporaine : l’essence de ses peintures est autant musicale que picturale. Hong InSook a fusionné les deux arts. La musique conduit ses compositions, leur donne du sens, anime les formes et les couleurs. Au-delà d’une simple reconnaissance de choses vues dans la nature, on ne peut tenter de les saisir par des mots, ou plutôt de les interpréter, qu’après s’être laissé porter par elles.
Alors que ses corps à corps avec de lourds papiers mouillés tenaient déjà de la danse, la découverte des grands opéras de Wagner, Lohengrin, Tristan, la Tétralogie, Parsifal l’a bouleversée et profondément marquée. D’une peinture à l’autre, un vocabulaire musical très wagnérien – fait de leitmotiv exprimant en même temps puissance et douceur, combats et fusions amoureuses, de couleurs mélodiques et orchestrales qui allient espace et profondeur spirituelle – donne vie à des montagnes et des océans, anime des silhouettes végétales à côté d’autres comme fossilisées, sonne des éclosions pariétales de lichens, dessine des structures cristallines. Des rayons lumineux illuminent des royaumes sous-marins, élèvent un paysage jusqu’aux sommets d’un Walhalla joyeux et léger. La couleur et la sonorité des cuivres fusionnent, font surgir des aurores de la profondeur de la terre. De grands vents balayent des paysages vides qui recueillent les couleurs du ciel. Dans les dernières œuvres de Hong InSook jaillissent d’impressionnantes ascensions.
Dieux, héros, humains, animaux apparaissent rarement au premier regard dans ses peintures. Ce sont des fragments de paysages qui tiennent le rôle des acteurs, jouent, se déplacent, mettent en scène, comme autant de confrontations wagnériennes, les propres contradictions de Hong InSook, entre tempérament guerrier et besoin de fusion, dans le temps long de la terre qui rejoint celui d’une mythologie nourrie de ses Traces. A.M.