Le grand rêveur
La composition du Grand rêveur de Fred Deux est rythmée, vivante, florale vue de loin. Comme au début du cinéma, un grésillement de traits fins et verticaux laisse apparaître une image : un corps immobile, les yeux fermés, flottant sur un fond – papier, parchemin, drap ou écran – lui-même irrigué par le cheminement nerveux, à fleur de peau, de l’épiderme du rêveur.
Fred Deux se voit les yeux clos, vibrant d’une vie intérieure intense et lumineuse qui parcourt son visage et sa jambe droite. Celle-ci s’effile en mailles resserrées vers un pied minuscule. Comme une antenne. Cet « autoportrait » est une méditation.
Son corps est creusé voluptueusement dans le prolongement des cuisses, tandis que la jambe du bas s’évapore en traces d’ombre, happée par un utérus protecteur qui irrigue deux autres visages, les yeux ouverts.
Plus à droite, le corps en lévitation est relié par des vaisseaux nourriciers à un autre nid d’organes et de visages qui regardent.
Le corps est sans bras : Fred Deux ne saisit pas, il reçoit.
Le rêveur laisse advenir ce qu’il ressent – volupté, admiration, souffrance, angoisse, doute, réminiscences, tressaillements – le retranscrit attentivement, sans se couper de l’observation du monde. La clarté est la même à l’intérieur du corps qu’à l’extérieur.
Le fond aquarellé du dessin, légèrement rose, est autant l’aurore que le crépuscule qui rythment le temps long d’un artiste pour qui création, vie et rêves ne font qu’un. Sans recours aux stimulants artificiels.
La lenteur de son travail et la puissance de son attention donnent du sens à son imagination. L’intime rejoint l’universel.
A.M.
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