Jean Hélion (1904-1987)
Biographie
1904 Naissance de Jean Bichier qui reprendra plus tard celui, anciennement de sa famille, Hélion, un nom aux connotations solaires et grecques qu’il affectionnait.
1921 Après quelques études de chimie, des essais de poésie, Jean Hélion effectue des relevés dans les rues de Paris pour un architecte parisien. Parallèlement, il écrit des poésies, commence à entretenir des relations étroites avec des poètes, comme il le fera tout au long de sa vie. Après quelques hésitations, il choisit définitivement la peinture, passe beaucoup de temps au Louvre, étudie en particulier Champaigne et Poussin.
1922 Naissance de son premier fils, Jean-Jacques, qui aura lui-même deux enfants, Jacques et Peter, tous les deux installés aux États-Unis.
1925 Grâce à un collectionneur, Georges Bine, il se consacre entièrement à la peinture.
1926 Rencontre avec le peintre uruguayen Torres Garcia, qu’il héberge quelques mois et qui lui ouvrira les portes de l’avant-garde.
1929 Première exposition de peintures abstraites à Barcelone.
1930 Fonde avec van Doesburg, Carlsund et Tutundjian le groupe « Art Concret » pour lequel les inspirations de la nature doivent être exclues. Hélion en ressentira rapidement la contrainte et l’absurdité, en particulier du dogmatisme de Herbin. Mais il recherche un langage universel compréhensible par tous.
1931 « Art Concret » devient « Abstraction-Création » sous l’impulsion de van Doesbourg, et accueille d’autres artistes, moins doctrinaires : Arp, Delaunay, Kupka, Gleizes, Valmier, Herbin, Tutundjian, puis Vantongerloo. Très choqué de n’avoir pas pu discuter librement en URSS avec les artistes et écrivains qu’il avait souhaité rencontrer, il rompt, sans attendre, avec le Parti Communiste.
1932 Premier départ aux États-Unis, où il se sentira beaucoup plus libre. Se marie avec Jean Blair, américaine qui vit en Virginie. Nombreux allers-retours États-Unis-France où Jean Hélion renforce son amitié avec Mondrian, Arp et Giacometti, ainsi qu’avec Christian Zervos, directeur des Cahiers d’art. Hélion dirige le premier numéro de la revue Abstraction-Création.
1933 Au cours d’un dîner, Mondrian lui demande d’intervertir leurs places : – « Bien volontiers mais dis-moi pourquoi ? » – « Je vois des arbres par la fenêtre, c’est insupportable. » Hélion admirait Mondrian, mais refusait « cet absolu unilatéral… La supériorité de la nature est d’offrir le maximum de complexité de rapports. C’est vers elle que je vais à grands pas. » Il renonce au formalisme doctrinaire de l’art géométrique. Il revient aux États-Unis avec Calder. Des volumes apparaissent dans son œuvre. Cette évolution est bien perçue aux États-Unis. Il devient le conseiller influent de la Gallery of Living Art à New-York, soit la première institution américaine, avant le Moma, qui ait rassemblé et montré des artistes européens importants du XXème siècle.
Il a partagé ses recherches les plus personnelles durant sa période abstraite avec Calder. Une grande amitié qui ne s’est jamais démentie liait les deux hommes. « Entre telle toile de Hélion et les constructions contemporaines de Calder, la proximité est telle qu’on en viendrait à se demander si les toiles du peintre ne seraient pas les patrons des découpages du sculpteur, à moins qu’il ne faille inverser l’hypothèse. Le plus vraisemblable est qu’ils s’influencent et s’épaulent réciproquement, les inventions de l’un stimulant celles de l’autre. » (Hélion, par Philippe Dagen, Hazan, 2004). Hélion a partagé aussi une grande proximité, moins connue, avec Miró. Jacques Dupin, le biographe officiel de ce dernier, en témoigne : « Des peintures de Miró en 1933 sont très proches de l’abstraction qui revient en force sur la scène picturale. Très proches surtout des travaux abstraits de son ami Jean Hélion ; on ne peut qu’être saisi par leur parenté, par leur conjonction, par leur mise en œuvre spatiale. Si Miró refuse avec violence d’entrer dans leur maison déserte, il faut reconnaître qu’il en a atteint le seuil » (Flammarion, 1993).
1934 Première exposition personnelle aux États-Unis : « Plus j’avance, plus l’appel de la nature devient évident… les volumes vont devoir devenir complets : des objets, des corps. Ce sera bientôt l’inévitable bout du nez de la nature et le passage dans une nouvelle ère naturaliste. ». Rencontre de A.E. Gallatin, dont il deviendra un conseiller écouté pour la constitution des premières collections publiques américaines d’artistes européens. En France, il quitte « Abstraction-Création », en raison du dogmatisme de certains de ses membres, hostiles à toute allusion figurative, en particulier Herbin.
1936 Plusieurs expositions collectives à Paris, Londres et New York. À partir de juillet, il vit principalement aux États-Unis. Hélion construit un atelier en bois le long d’un cours d’eau en Virginie. Il est de plus en plus connu, par son œuvre et ses écrits. Son influence devient comparable à celle de Marcel Duchamp, écrira Alfred Pacquement, en 2004 dans le catalogue de l’exposition du Centre Pompidou.
1937-38 Hélion intègre de plus en plus d’éléments figuratifs dans sa peinture.
1939 Naissance de son second fils Louis Blair qui restera très attaché à l’œuvre de son père et que j’ai eu la chance de rencontrer dans son ranch de Virginie en 2017. Jean Hélion renonce, pourtant, à l’abstraction, peint sa dernière œuvre abstraite, une « figure tombée » (un thème qu’il reprendra ultérieurement) et revient à la figuration. Il poursuit avec des têtes d’homme au chapeau, structurés dans des formes géométriques, à partir, souvent, du visage de son fils Jean-Jacques. Hélion décrit avec une étonnante précision sa démarche à venir : « Il y a dix ans, je produisais mes premiers graphiques libérés de l’image naturelle. Je vais avoir 35 ans. J’ai encore le temps d’accomplir une grande œuvre. Pendant dix ans, je crois que je vais regarder, admirer, aimer la vie autour de nous, les passants, les maisons, les jardins, les boutiques, les métiers, les gestes usuels. Puis quand j’aurai atteint la maîtrise des moyens et le bagage de personnages et d’attitudes qui me fasse éprouver l’aisance que j’ai à présent dans l’art non figuratif, j’entamerai une autre période que j’entrevois depuis quelques jours : je rendrai à la peinture son pouvoir moral et didactique. J’attaquerai de grandes scènes qui ne seront plus seulement descriptives, administratives mais significatives comme les grands Poussin. » Sur le moment, l’enjeu de sa décision passe inaperçu. L’actualité est ailleurs.
1940 En janvier, Hélion fait le chemin inverse des intellectuels et artistes français qui viennent se réfugier aux États-Unis. Il part volontairement s’engager dans l’armée française. Il est fait prisonnier en juin, interné dans deux camps de sous-officiers.
1942 Il réussit à s’évader, en février, traverse l’Allemagne, dessine sur le vif, se rend à Paris, puis à Marseille.
1943 De retour à New-York, il participe activement à la campagne d’opinion en faveur d’une intervention américaine, donne des conférences et en raconte sa captivité et son évasion dans un livre à large diffusion « They Shall not Have Me », traduit récemment en français par sa dernière épouse Jacqueline. Exposition individuelle à New York, à l’Art of this Century, qui appartient à Peggy Guggenheim dont il tombe amoureux de la fille, Pegeen : Pegeen m’inspirait visuellement. Elle m’a fourni le modèle de mes nouvelles figures dès 1944. La nécessité d’un modèle inspirant était majeure. Les portes du succès lui sont grandes ouvertes, mais il renonce définitivement à l’art abstrait, dont il avait été également un théoricien, et poursuit son œuvre figurative. Ce qui lui vaut la réprobation des collectionneurs américains qui avaient misé sur l’abstraction et le surréalisme, en particulier sa belle-mère.
1944 Jean Hélion retrouve à New-York Mondrian, Ernst, Calder, Tanguy, Léger, Seligman, Ozenfant, Breton et André Masson. Peint de nombreux nus, portraits, des natures mortes, dont « La nature morte à la flaque d’eau ». Des rebuts – tuyau de poêle usé, parapluie cassé, journal froissé – prennent forme sur un lit d’abstraction quasi biomorphique. La trivialité de ses sujets sera, dès cette époque, l’une des raisons du rejet de Hélion par les galeries et les collectionneurs.
1945 Mariage avec Pegeen. Il donne forme à une mythologie moderne à partir du spectacle des rues. Séries des Allumeurs, des Fumeurs, des Femmes aux cheveux jaunes, des autoportraits à demi nus, des Salueurs, des Promeneurs, des Figures de pluie. Échec de sa troisième exposition chez Rosemberg.
1946 Retour en France, avec Pegeen. S’installe rue Michelet à Paris.
1947 Naissance de Fabrice, son troisième fils. Peint « À rebours », désormais dans la collection du Centre Pompidou. Ses œuvres figuratives ne rencontrent pas davantage de succès à Paris. Aux États-Unis, il reste un renégat, pour avoir quitté le navire de l’abstraction, un cheval de bataille culturel dans les années 50. Pourtant toute sa vie Hélion restera attaché à l’Amérique, où il a été heureux et qui lui était apparue comme le havre de ce qu’il prisait le plus : la liberté.
1948 Il se lie d‘amitié avec les poètes Yves Bonnefoy, André du Bouchet et Francis Ponge. Installation dans un grand atelier, avenue de l’Observatoire, dans des conditions financières très avantageuses.
1949 « J’avais toujours admiré dans les devantures les mannequins qui faisaient des gestes […] Ces mannequins m’apparurent jouer tout un théâtre derrière la vitrine, un théâtre d’élégance et de manières. Il y avait aussi une façon de prêche accompli par leurs gestes. » Ces mannequins paraissent creux et conventionnels vis-à-vis des personnages allongés dans la rue, sans souci des apparences, bien vivants, des clochards, des poètes ou Hélion lui-même.
1949 Naissance de son quatrième fils, David. Création dans son atelier d’une œuvre dansée de Cunningham, sur une musique de John Cage.
1951 Chrysanthèmes d’après nature, natures mortes aux tapins, aux citrouilles, aux pains, nus, scènes de rue et de la vie quotidienne. Nouvel échec de ses expositions, d’autant que l’abstraction domine, avec deux camps ennemis, l’abstraction dure, géométrique et l’abstraction lyrique.
1952 Naissance de Nicolas. Jean Hélion poursuit sans dévier son exploration de la nature, des choses et des objets les plus simples. Ses amis Calder, Brauner qui venait parfois peindre dans son atelier, Giacometti, Balthus, Francis Ponge, restent de grands admirateurs de son œuvre.
1953 Acquisition d’une petite maison à Belle-Île.
1954-55 Grandes peintures d’après le Jardin du Luxembourg. Portraits de Pegeen à l’époque dont il ressent de plus en plus douloureusement la fragilité psychologique et qui part de plus en plus longtemps dans le palais vénitien de sa mère.
1957 Vanités où des crânes voisinent avec des objets familiers. « Rien de macabre, sentiment d’architecture, de noyau, de minéral, d’objet ordinaire et grandiose… l’objet qui survit longtemps encore, rassurant. » Divorce.
1958 Apparition des toits, ceux qu’il voit chez lui, rue Michelet, et qui réintroduisent sans artifices des formes géométriques et son questionnement sur les formes.
1960 Réalise un de ses chefs-d’œuvre: « Le chou sous la lucarne », un sujet trivial, peu flatteur pour les collectionneurs mais qui hypnotise. Il sera exposé au Grand Palais en 1970 et a été redécouvert récemment. « Fasciné par les productions de ce peintre, je ne peux qu’à grand-peine en détacher mon regard » (Alberto Giacometti)
À Belle-Île, Hélion peint sur le motif, en particulier devant la mer et les rochers de Port Coton. Ses touches, lyriques, enrichissent son vocabulaire abstrait, lui permettront ensuite de saisir le recueillement de ses personnages.
1962 Grâce à un important achat de tableaux par la galerie Louis Carré, il acquiert une jolie maison de maître recouverte de lierre, à Bigeonnette, près de Chartres, avec une grande orangerie qui lui servira d’atelier.
1963 Mariage avec Jacqueline Ventadour.
1964 exposition à la Gallery of Modern Art de New-York, y compris des œuvres récentes.
1967 Se lie d’amitié avec deux jeunes peintres : Gilles Aillaud et Eduardo Arroyo.
1968 Scènes de cirque, « lieu où des gens ordinaires font des choses extraordinaires » ; puis événements de Mai 68 dont il a été un témoin attentif et engagé, carnet de croquis en mains.
1969 Peint aussi des entrées et sorties de métro.
1970 Rétrospective à Paris, dans les Galeries Nationales du Grand Palais, par Daniel Abadie (du 11 décembre au 2 février 71) ; et, organisée par le Centre national d’Art Contemporain, exposition itinérante de ses œuvres récentes à travers la France.
1971 Aggravation de ses ennuis oculaires, apparus dès 1965.
1973 Jean Hélion s’installe à l’année à Bigeonnette, tout en gardant son atelier parisien.
1974 Début d’une collaboration de douze ans avec Karl Flinker, galeriste de Aillaud et Arroyo.
1971 Voyage à New-York. Réalisation d’un grand diptyque : Suite pour le 11 novembre.
1977 Exposition au musée des Sables d’Olonne ; exposition consacrée aux marchés au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.
1978 À l’occasion d’une exposition, séjour à New-York où il réalise de nombreux dessins. Il commence à réunir dans ses œuvres l’ensemble des choses qu’il a aimé peindre. De plus en plus souvent ces œuvres deviennent aussi une réflexion sur la peinture, pour les générations futures.
1979 – 1980 Exposition itinérante de ses dessins organisée par le Centre Pompidou présentée à la Pinacothèque nationale d’Athènes et dans les Palais des beaux-arts de Pékin, Shanghaï et Nanchang.
1981 – 1983 Sa vue ne cesse de décliner. Mais ses œuvres révèlent la maîtrise de qui a beaucoup observé, mémorisé et pensé ce qu’il a vu. Il devra laisser une marque là où il laissé son travail pour le reprendre à la bonne place le lendemain. Parfois, c’est quelqu’un de son entourage qui lui pose la main. Il réalise pourtant des œuvres particulièrement importantes, soit sur des sujets nouveaux, soit sur une ré-interprétation de ses thèmes antérieurs, en incarnant ses recherches abstraites.
1983 En octobre, cécité complète. Dernière œuvre, testamentaire : « Trombone pour un peintre ». Ensuite, il dictera des commentaires sur son œuvre.
1984 Deux grandes expositions institutionnelles : à la Lenbachhaus à Munich et au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
1986 Vente de sa maison de Bigeonnette, retour à Paris, rue Michelet. Exposition individuelle à la fondation Peggy Guggenheim à Venise. Continue, sans rien voir, de visiter les expositions importantes que Jacqueline lui décrit.
1987 En octobre, Jean Hélion meurt à Paris.
Jean Hélion : Principales expositions institutionnelles
1934 « Hélion », Université de Chicago, Chicago
1937 Howard Putzel Gallery, Exposition organisée par Marcel Duchamp, Los Angeles
1937 San Francisco Museum of Art
1943 « Hélion. Abstract Paintings », The Arts Club of Chicago, Chicago
1943 « Hélion. Paintings 1933-1939 », Art of this Century, New York
1970 Retrospective, Grand Palais, Paris
1977 « Hélion, les marchés (1972-1977) », Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
1984 « Hélion, peintures et dessins 1925-1983 », Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
1984 Abstraktion und Mythen des Alltags, Städtlische Galerie im Lenbauschaus, München
1986 « Omaggio a Jean Hélion. Opere recenti/Homage to Jean Helion. Recent Works », Fondazione Solomon R. Guggenheim, Venise
1987 Tate Gallery, Liverpool
1990 IVAM-Centro Julio Gonzalez, Valence, Espagne
1991 « Dation, peintures et dessins », Musée national d’art moderne, Paris
1995 Musée des Beaux-Arts, Orléans
1995 « Helion, la figure tombée », Musée d’Unterlinden, Colmar
1996 « Hélion, la figure tombée », Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne
2004 Centre Georges Pompidou, Paris
2005 Musée Picasso, Barcelone
2018 National Academy Museum, New York
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