En résonance avec le monde

Bernard Réquichot, Sans titre, 1957, huile au couteau sur papier marouflé avec prélèvements de toiles déjà peintes collés, 105 x 75 cm

Les œuvres de Bernard Réquichot saisissent d’emblée par une force et une énergie aussi puissantes qu’impénétrables.

Il est difficile d’y mettre des mots, de leur trouver du sens, surtout à partir de 1956 quand elles ne représentent plus rien d’identifiables, à l’exception des collages de photos-magazine (Papiers choisis). Mais le sens de ces derniers est détourné sur un mode de découpages-répétitions-variations musicales qui rend difficile de les interpréter.

L’artiste s’est approprié l’écoute intime du surréalisme et l’abstraction de son époque – gestuelle, informelle, matiériste – pour en faire autre chose. Il n’étale ni ses états d’âme, ni ses sentiments, ni son moi, mais essaie de transposer l’état de sa pensée et de son système nerveux, de trouver des formes synthétiques équivalentes, en résonance avec le macrocosme et notre « être au monde ». Ses recherches sont intellectuelles, métaphysiques et scientifiques. Il donne forme, par transposition, au rythme de la vie et à une interprétation de notre civilisation, à l’accélération des bouleversements technologiques, à l’incommunicabilité, aux déchets…

En peignant, Réquichot cherche jusqu’où une oeuvre d’art peut conduire la pensée. Il situe notre destin de mortel dans l’infini du temps et l’infini de l’espace. Ses oeuvres donnent une forme vivante à des analogies entre notre psychisme et les forces qui régissent l’univers et à un élan vital sans cesse renouvelé.

Les Spirales et les Traces graphiques particulièrement traduisent énergie, puissance, force intellectuelle. On est côté du faire, jusqu’à la jouissance de ce faire, au delà de l’érotique.

Les maîtres à pensée de Réquichot sont des philosophes soucieux d’exactitude, comme Henri Bergson et son élan vital ou Paul Valéry et ses analyses des mécanismes de pensée dans Monsieur Teste.

Il s’est défenestré à 32 ans, par nervosité, crainte du regard des autres durant la grande exposition que préparait Daniel Cordier. Pour autant, son oeuvre ne se place pas sous le registre de la mort, mais au contraire sous celui de l’élan vital, de la naissance, de perpétuelles naissances : on n’y disparaît qu’avec l’épuisement du rythme des renaissances.

Bernard Réquichot a lancé tout cela comme une bouteille à la mer, sans explication, en refusant toute mise en scène. Chaque génération pourra y trouver le miroir de ses nouvelles préoccupations. C’est déjà le cas de la nôtre.

 

A.M.

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