Aux portes du silence

Fred Deux, Les survivants, 1983, mine de plomb sur papier, 103 x 198 cm

Les écrits qui accompagnaient les dessins de Fred Deux, mi-poétiques, mi- métaphysiques (un terme qu’il a souvent employé) sont au cœur de sa création picturale.

Dans Les Survivants (1983), l’une des œuvres où il est allé au plus loin de nos incertitudes, et qui clôture le cycle des Autoportraits’(1981-1982), une phrase :  Les survivants ne sont pas des vivants, a guidé et relancé sa mine de plomb durant de longues semaines.

Il l’a écrit alors :

Qui comprendra pourquoi résister à la pression des mots entrainerait tôt ou tard la mort du dessin?
Tout dans celui-ci commença par le mot «survivant», que je mis au pluriel, m’enfonçant ensuite dans le désert des petits carrés.
«Les survivants ne sont pas des vivants». La phrase résista. Nous devînmes l’un pour l’autre, tour à tour, cavalier et monture, lentement elle tachait chaque empreinte laissée.

Les mots, et, avec eux, sa culture et sa pensée, relançaient et alimentaient la mémoire de Fred Deux, son inconscient, sa vie organique, sa connivence profonde avec le règne végétal.


Ce processus de création ne contredit pas son refus d’un schéma préalable pour laisser venir le dessin et donner forme avec le plus de justesse possible à ce qu’il découvrait.

Le dessin est une des pratiques où la prononciation n’appartient pas à celui qui le pratique mais à cette fente par où passe la racine. Je suis un transparent du dessin (à quoi j’avais pensé nécessaire d’ajouter : je ne sais rien). 

On retrouve en effet dans beaucoup des dessins de Fred Deux des fentes et des racines, et ces dernières plongent souvent jusqu’au blanc qui entoure le dessin. Si les mots sont très importants, le dessin va plus loin que les mots dans son exploration des mystères de l’être. Lui aussi, pourtant, s’arrête aux portes du silence.

A.M.

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