Dès avril 1939

J’ai choisi pour la dernière semaine avant les vacances de Noël cette aquarelle de 1939, datée précisément du 22 avril 1939 et sobrement titrée étude. Il s’agit de l’une des toutes premières œuvres figuratives conséquentes d’Hélion, peut-être même la première, après sa période abstraite. Et elle contient déjà, avec une précision étonnante, de nombreux points communs avec son œuvre à venir : la fusion de la figuration avec une double abstraction, géométrique et fluide; la présence de motifs qui reviendront régulièrement dans son œuvre : étoffes, choux, papiers froissés, allumettes, le canevas de sa construction autour d’une mise en scène.
Deux objets aux formes géométriques s’affirment au centre : une chaise, un bol à ses pieds. Hélion aime rencontrer à l’extérieur des formes abstraites qu’il porte en lui. Il l’explicitera à la fin des années 50, à propos des toits. La géométrie est également présente dans la construction, d’une précision quasi-mathématique : alignements subtils des bords des étoffes; jeux de perpendiculaires, symétries, diagonales dans le but de diriger et maintenir le regard sur l’oeuvre.
Pour le souligner, deux allumettes au sol incitent à regarder ce qu’habituellement nous ne remarquons pas, avec une touche d’humour puisqu’elles ont eu le pouvoir d’allumer notre regard!
La géométrie fluide est celle des étoffes, omniprésentes dans cette «étude», jusqu’au mur du fond, et dont Hélion avait pu admirer les effets dans l’atelier de sa grand-mère, couturière. Dans la grande tradition picturale de la Renaissance et des peintres du XVII ème qu’il admirait le plus, Poussin et Champaigne, ces «drapés» participent à la force d’expression des œuvres, leur donnent un rythme, révèlent un sens non explicité ou une scène suggérée. Dans cette aquarelle, une forme se soulève des étoffes dans un mouvement circulaire autour du bol, jusqu’à évoquer à la fois un chou et un journal froissé.
Hélion reprendra aussi la structure de cette composition, notamment dans la grande peinture que nous avons commentée récemment, La Grande Boucherie de 1963 : deux tentures latérales, un enfant à l’emplacement de cette forme hybride au centre en bas.
Dès avril 1939, on ressent ce que l’exposition du Musée d’Art Moderne de Paris, plus modestement la nôtre, ont montré : à la fois la grande liberté d’un peintre qui ne voulait pas s’enfermer dans le filon d’un style, fusse-t-il le chemin assuré du succès, et la cohérence profonde de son parcours, décennie après décennie, jusqu’à la «synthèse-ouverture-sur-l’avenir» de ses dernières œuvres.