Accordéon pour deux passants

Jean Hélion, Accordéon pour deux passants, 1965, huile sur toile, 88,5 x 130 cm

Accordéon pour deux passants révèle la beauté, visuelle et morale, d’une vie à portée de regard qu’habituellement nous ne voyons pas. La scène de rue est intériorisée, non par son auteur mais par ses acteurs, les six personnages de la toile, des Monsieur-tout-le-monde-de-la-Deux-Chevaux où Helion signe et date.

Les deux femmes qui font leur marché bavardent. Les deux passants qui donnent son titre au tableau se détachent l’un de l’autre sans se défaire de la symétrie siamoise de leurs silhouettes. Le musicien n’étire pas un simple instrument, si porteur d’émotions soit-il, mais un «accordéon-livre» chargé de patrimoine culturel. Sa compagne chantonne, la main rapprochée de son dos. Un choux s’offre dans les jambes du couple, renvoie aux poireaux étalés hors du cabas, illustre une présence «corps et âme».

Les personnages sont alignés sur un trottoir transformé en scène, sauf l’un des passants qui s’avance vers nous. Peinture, littérature et musique se conjuguent pour transformer en mythe, en un monde de demi-dieux, un spectacle de la rue.

Le paradoxe est l’effacement des visages, la saisie des silhouettes par quelques touches. Ce n’est pas pour montrer des individus anonymes, interchangeables, agités par leurs occupations, dépossédés d’eux-mêmes, mais au contraire pour mieux tremper ces personnages dans leur humanité et la globalité de leur existence. Hélion ne déconstruit pas.

Il nous aide à saisir nos semblables quand ils frémissent d’une vie qu’ils ressentent profondément, se donnent tout entier dans une conversation, dans l’écoute de la musique, concentrés sur ce qu’ils font et songent, communient avec l’autre au delà des mots. L’instant rejoint alors l’éternité, comme dans la grande peinture classique.

La scène baigne dans un bleu limpide rythmé par des reflets de soleil. Quelques touches de brun sous les pieds des personnages les rattachent à la terre, là où ils sont.

Je recherche un développement de forme en forme, de qualité en qualité jusqu’à l’image complète dans laquelle j’ai besoin que se reflète et s’éclaire le monde, celui de tous, le quotidien, le naturel, a écrit Jean Hélion.

Accordéon pour deux passants est l’une de ces images complètes.

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