Nature morte à la flaque d’eau
L’un des chefs d’oeuvre d’Hélion en 1944 Nature morte à la flaque d’eau, montre des rebuts dont habituellement nous détournons le regard.
Cette peinture poétique et riche de sens a été exposée à la Lenbachhaus de Munich en 1984, puis cette année au Musée d’Art Moderne de Paris. Nous la montrons pour la première fois à la galerie.
Son passage subtil de l’abstraction à la figuration annonce l’ensemble du parcours d’Hélion.
Il est connu que les «natures mortes» intéressantes sont vivantes mais celle-ci l’est particulièrement. Déjà par ses couleurs, avec une dominante bleue et une lumière qui s’intensifie dans la durée.
Sa construction classique autour de deux diagonales indique un chemin à suivre, pour saisir une temporalité. L’oeuvre commence par les deux parallélépipèdes rectangles multicolores qui disjoignent un caniveau, se poursuit par la vie cellulaire du dallage fluide d’une mince flaque d’eau, continue par la prise de forme d’un papier journal déchiré et froissé qui soulève indiscrètement la robe d’un parapluie défoncé mais beau comme le plumage sombre et bleuté d’un oiseau. Il croise ses baleines contre la géométrie du trottoir. À côté du parapluie qui reviendra souvent dans son œuvre, le coude arraché d’un tuyau de poêle rougi de désir se déploie lentement.
Ces déchets, menaçants, aiguës, coupants, se révoltent pour être vus et écoutés, pour qu’on découvre leur beauté, leur force de vie, l’érotisme qu’ils suggèrent. Ils dialoguent, s’attirent, se répondent, entre eux et avec nous.
L’oeuvre des décennies futures de Jean Hélion est là, en germe : l’attention aux petites choses autour de nous, la prolifération des formes, les affinités des choses entre elles et avec nous, la nécessité de les déchiffrer comme des rébus.
Sensuel et intellectuel, Hélion fait vivre aussi la grande histoire. Prisonnier de guerre, il ne rêvait pas d’abstraction mais de femmes et d’amour, et s’exerçait à trouver de la beauté et de la vie dans le sordide qui l’entourait.
Ce tableau nous touche autant maintenant parce qu’il est aussi celui, vécu en profondeur, intensément, d’une époque qu’il reconstitue.
A.M.