Rencontre
« En 1948, à Marseille, j’ai commencé à faire des taches avec de la couleur contenue dans des petites boîtes métalliques et réservées à la peinture des bicyclettes. Enfant, j’avais été émerveillé de voir mon père ou mon oncle repeindre en rouge et jaune ou en bleu et blanc leur vélo.
Ces deux vélos devenaient des trésors, nous enrobant petit à petit de toutes les odeurs magiques : huile, graisse, chatterton, caoutchouc, à quoi s’ajoutait le solvant puissant de la peinture et de son siccatif. C’était une fête religieuse.
J’ai acheté des feuilles de papier et, passant par hasard devant un marchand, quelques boîtes de cette peinture pour bicyclette. Revenu chez moi, j’étalai mes feuilles et j’ouvris une boîte, puis une autre, et une autre encore. Je les fis couler de telle sorte qu’elles se mélangent – ou non – en inclinant plus ou moins le papier.
Au début, je laissais les taches pures, dans leur éclat. Puis, j’appliquais une feuille vierge sur la feuille tachée. J’appuyais, j’écrasais, je soulevais, regardais, retrouvant les odeurs, les gestes (décalcomanie) de mon enfance.
Très vite, j’incorporai l’encre de Chine à la matière (craie, colle) puis j’utilisai des bouts de tissu, de carton. Tout ce qui était porteur. C’est ensuite que les mots arrivèrent. Mon premier outil ne fut pas un pinceau, mais un petit porte-plume d’écolier. Je lisais les mots, les phrases, sans comprendre ce qui se passait. Quelque chose venait de m’arriver qui ressemblait à une rencontre. Seulement, de là où je sortais, on n’avait pas l’habitude de se rencontrer soi-même.»
Fred Deux.
Exposition jusqu’au 2 mars