Rencontres
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Une certaine proximité entre artistes d’une même galerie est quelque chose de naturel. Ce fut le cas à la galerie Cordier où Réquichot a durablement impressionné ceux qui ont eu le privilège de pouvoir regarder son œuvre : Michaux, Dado, Fred Deux, mais aussi Hantaï début 1955.
Représentant Dado et Fred Deux, il était logique que je défende aussi Réquichot. Je montrais quelques une de ses œuvres depuis notre ouverture, en 1993. J’avais pu acquérir un grand collage dans mon ancienne vie professionnelle, puis quelques œuvres, dans les rares galeries qui en possédaient, auprès de collectionneurs et dans la famille.
Mais la clef, c’est Daniel Cordier qui la tenait. Il avait fait une importante donation au Centre Pompidou, 27 œuvres au total, exigé et obtenu que l’artiste y soit montré en permanence. Mais il gardait jalousement l’essentiel de sa production, celles d’un artiste qu’il aimait par dessus tout, avec d’autant plus d’émotion qu’il s’est défenestré la veille d’une exposition dont il aurait voulu faire « un triomphe », me dira-t-il, la gorge nouée.
Il ne m’a pas confié son œuvre avec légèreté. Première question, quand la nièce de l’artiste, Aleth Prime, lui a parlé de moi: « A-t-il un bureau? ». Je ne sais toujours pas si j’en ai un !
Finalement, un beau matin, une assistante vient me chercher : « M. Daniel Cordier est à la galerie ». Le contact est immédiatement chaleureux. Cordier aime nos espaces, et surtout se sent en pays de connivence, avec Fred Deux, dont il ne tarira pas d’éloge sur l’imagination et la capacité de renouvellement, Dado qu’il avait continué à soutenir contre vents et marées, Laubiès qui avait refusé d’intégrer sa galerie sous prétexte qu’il n’avait pas assez d’œuvres, d’autres artistes qu’il découvrait, en particulier François Lunven. « Comment se fait-il qu’il n’était pas à ma galerie celui-là ! » Il en parlera comme l’un de ses artistes.
Quant aux Macréau, quand il eut vérifié leurs dates : « Ils participeront à votre fortune !! »
Nous multiplierons les déjeuners. Par chance, il aimait beaucoup les crêpes du restaurant en face qui nous livrait !
Tout cela n’a pas empêché des discussions épiques sur les prix, une première demande tellement invraisemblable que j’ai manqué lui demander s’il parlait en anciens francs. En partie, par jeu. Cordier aimait l’argent, mais faisait preuve aussi d’une grande générosité. Il m’a, d’ailleurs, acheté, quatre peintures de Laubiès pour compléter sa donation au Centre Pompidou.
Quand nous nous sommes enfin mis d’accord sur Réquichot, qu’il reçoit le chèque convenu assis sur un rebord d’escaliers en béton devant ses réserves près d’Orly, je lui demande s’il est content. Il me sourit : « Vous pourrez dire que j’aurais pu les vendre plus chers, mais que c’est à vous que j’ai fait confiance pour défendre l’œuvre. »
Daniel Cordier cloisonnait, ne m’a jamais fait rencontrer ses deux filles adoptives dont il parlait de temps à autres, ne m’a pas proposé des artistes qui ne correspondaient pas à mes choix, malgré une légère tentative du côté de Bettencourt ! En revanche, il me fera à propos de la trésorerie de la Résistance une confidence testamentaire qui a scellé mon admiration. Grâce à mon choix de Réquichot, j’ai eu la chance de côtoyer non seulement un grand marchand, mais, avec ses contradictions, un véritable héros.
A.M.
Jusqu’au 11 mars.
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