Regard sur Jean Hélion
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À partir de 1981, la vue de Jean Hélion s’est considérablement dégradée. Il se réfère moins au réel qu’à ses œuvres antérieures qu’il enrichit de toute une vie d’expériences picturales, avec une grande liberté. Certes, certaines œuvres sont maladroites, mais d’autres, relativement nombreuses, constituent un point culminant. Elles restent pourtant méconnues. C’est le cas des Rêveurs, longtemps gardés dans la famille, aux Pays-Bas.
Jean Hélion reprend ici l’un de ses thèmes picturaux de 1947, Le Dormeur et le nu. À 43 ans, Jean Hélion peignait l’harmonie d’un couple encore uni par ses étreintes nocturnes, les yeux grand ouverts de la femme, ses seins pleins et aériens, à l’image de l’envol de ses bras, le dormeur qui lui répond dans ses rêves et les souvenirs de son corps gonflé de sève. La femme ouvre les volets à l’amour, au ciel, à la vie d’un matin.
En 1983, nous retrouvons presque le même format. L’homme endormi a un visage lunaire. Ses rêves ne sont plus gorgés de sensualité. On sent un abandon tendre. La femme pose une main rassurante sur son épaule. Les couleurs sont soutenues et denses : vert, rouge, noirs et marron. Le vert cerne le portrait en buste de la femme, ses cheveux. Le rose de son corps tire vers la nostalgie du mauve.
Comme dans beaucoup de peintures de Jean Hélion, surtout depuis 1970, le dessin joue un rôle important. Il est léger, poétique et lisible sur le visage du dormeur, beaucoup plus fourni sur le buste de la femme dont le mouvement brouille la perception. Le dormeur pourrait représenter Jean Hélion, comme le suggère les tâches d’acrylique sur ses vêtements. Il revoit la coiffure qu’il aimait tant de sa Pegeen des années 40.
L’ouverture marron des rideaux écarte ce qui reste de lumière voilée parmi des couleurs pleines.
Jean Hélion devient complètement aveugle, le 8 octobre 1983. Il ne renonce pas pour autant à sa vie d’artiste. La fécondité de sa sa vie intérieure et son besoin permanent de créer l’incitent à poursuivre son œuvre par la pensée et l’écriture. Il dicte trois livres : « Mémoire de la chambre jaune », « À perte de vue » et « Choses revues ». Il commente « des œuvres qui n’ont jamais réussi à aboutir ». « J’en ai détruit une bonne partie », ajoute-t-il. « Il y en a pourtant que j’ai conservées parce qu’il me semblait que je pourrais, un jour, les refaire, les accomplir… Je me résigne à essayer encore de les apercevoir et de parler au lieu de peindre ce que j’avais cru pouvoir en faire ».
A.M
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