Regard sur Dado
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Dado : entre horreur et merveilleux
Ce dessin non titré de Dado est probablement de 1958, deux ans après son arrivée en France.
Deux rencontres importantes font de cette année 1958 un tournant dans sa vie et dans son oeuvre :
Celle avec Daniel Cordier lui assure une vie en France et une reconnaissance de son travail;
Celle avec Bernard Réquichot lui apporte une amitié sincère et un approfondissement de son vocabulaire pictural.
Un trait rouge, délicat, parfois à peine perceptible et cependant d’une grande précision révèle un poupon d’environ trois mois couché sur le dos. Sa grosse tête repose sur ses épaules, sans cou.
Ses yeux sont grand ouverts et semblent vous fixer comme pour vous inviter à jouer. Le bout du nez vous fait craquer. Des petits bras bien potelés sont tendus vers vous comme désireux d’entrer en contact tactile. Des pieds entourés de petites boules d’orteils finissent tendrement de dresser le tableau.
Ce bébé impose sa taille colossale à un espace vidé qui semble infini.
Dado renforce ce nouveau langage pictural par des effets de zoom sur certaines parties corporelles comme les oreilles qui sont trop grandes ou les mains et la bouche qui sont particulièrement petites.
Un sentiment de tendresse émane très fortement de ces petites difformités si réalistes. Elles apportent un sentiment de vivant à ce bébé qui nous renverrait volontiers à une crèche.
Puis, au centre du dessin, votre oeil est attiré par l’explosion d’une couleur qui varie entre la transparence du lavis rouge et l’opacité d’un lavis qui en devient noir. Des traits hirsutes comme des poils bordent le tout, découpent cet espace innocent et apportent une dynamique chargée de maléfice.
Dessinateur virtuose et coloriste hors du commun, Dado utilise une palette raffinée et précieuse « ne pouvant s’empêcher de toujours trouver prétexte à des images et des scènes calamiteuses. »*
« Je blesse mes peintures. Je les détruis. J’y fais comme des incisions… Chaque peinture est un meurtre » a dit Dado, comme s’il s’émerveillait particulièrement devant le laid, le gênant, le monstrueux que le bon goût éviterait.
Mais pourquoi, ici même, devant ce dessin, ne détournons-nous pas notre regard ?
Il existe une autre lecture de ce dessin, enfantine et burlesque. Une lecture pleine d’humour et de rire qui nous oblige, avec la sensibilité d’un enfant, à voir ensemble, sans les distinguer, l’horreur et le merveilleux, l’attendrissant et le quelque peu scatologique qui n’a jamais fait peur à l’artiste.
*Isabelle Monod-Fontaine : Donation Daniel Cordier, ed. Centre Pompidou.
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