« La Chine de René Laubiès »
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Je suis un peintre chinois de la Haute-Époque (moyen-âge) sans doute réincarné, qui, l’esprit libéré, faisait le vide en lui et communiait ainsi avec l’élan vital qui meut l’univers. Alors, en harmonie avec la Nature, c’est Elle qui guidait son pinceau, disait René Laubiès.
La Chine des lettrés représentait pour lui un idéal. Très jeune, il s’est attaqué à la traduction du traité de la peinture de Gao XI, peintre chinois de l’époque Song. Il n’a jamais séjourné en Chine, parce que la situation politique ne le permettait pas, mais son histoire familiale le rattachait à sa civilisation.
Son père, riche avocat d’affaires, de souche française, était installé au Vietnam. De ce père, il parlait peu. En revanche, il était resté profondément attaché à sa mère, d’origine chinoise, petite fille de mandarins du royaume de Xiam, une belle femme élégante dont il gardait religieusement la photo dans son portefeuille. Il me l’a montrée plusieurs fois.
Il a vécu une enfance et une adolescence heureuse au Vietnam que sa famille quittera à regret à cause de la guerre d’Indochine, quelques années après l’avoir envoyé finir ses études en France. Laubiès a toujours peint. La carrière juridique à laquelle le destinait sa famille ne l’intéressait guère, et elle a perdu encore plus d’attrait quand l’essentiel des biens familiaux a disparu dans le conflit.
Les calligraphies de ses œuvres du début des années 50 étaient inspirées de celles qu’il avait aimées sur les murs des villes vietnamiennes (puis dans l’arrière-pays niçois et au Maroc). Elles représentaient pour lui, m’a-t-il dit, un élément de décor. Elles correspondaient aux recherches de l’avant-garde de sa jeunesse et lui assuraient un succès croissant. Mais dès 1955, il les a ressenties comme une entrave à ses nouvelles recherches picturales vers une plus grande fluidité. Il les a abandonnées sans se soucier des attentes du public.
Son parcours est à l’inverse de celui des principaux artistes chinois de sa génération venus en Europe qui ont évolué vers une peinture plus occidentale qu’asiatique. Laubiès cédera rarement à un excès de couleurs et de formes. Son œuvre s’est épurée, jusqu’à presque l’effacement.
Sa palette s’est réduite. Il a lissé ses peintures avec une lame de rasoir, renoncé aux effets de transparence des glacis. Ses touches se sont faites de plus en plus discrètes pour exprimer parcimonie et effacement. On pense au silence de John Cage pour intensifier l’écoute.
Les formes de Laubiès se défont pour laisser passer le souffle et le vide. Souvent, elles surgissent, se concentrent puis se réduisent, se reprennent en échos. Il ne reste qu’un presque rien, qui s’anime au regard.
L’enjeu était de détacher l’image de sa matérialité. J’ai horreur de la matière. J’aime une peinture très lisse et, dans cette espèce de marbre ou de parois de rocher, qu’on aperçoive quelque chose qui est suggéré. Voilà mon idéal. Je n’ai jamais cherché à faire une œuvre mais à participer au flux de l’univers, à la vie.
A.M.