Choses vécues, avec Fred Deux 2/8
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II- Le choix des oeuvres
Quelques semaines plus tard, retour à la Châtre. Cette fois tout était convaincant dans le nouveau carton à dessins.
Fred Deux, comme René Laubiès, Dado ou Duvillier, m’avait fait passer ce que l’on pourrait appeler « le test du regard ». Au delà des compliments faciles, leur galerie sera-t-elle capable de défendre leur œuvre avec suffisamment de pertinence pour convaincre les conservateurs, les critiques d’art et les collectionneurs exigeants qui s’engagent sur des artistes hors mode ?
Généralement, les artistes savent quels sont leurs meilleurs tableaux. Ils ont tendance à les garder, en cas de coup dur, ou parce qu’ils n’ont pas totalement confiance en leur marchand. Ils vérifient d’abord si celui-ci voit ou non la différence. Les relations ne seront pas les mêmes ensuite.
Dans leurs périodes de doute ou de changement, beaucoup ont besoin d’un regard non seulement proche, comme celui de leur conjoint mais extérieur aussi, celui de quelqu’un qui les connaît bien mais avec suffisamment de recul et de points de comparaison pour rester objectif. Ce sera le cas deux ans plus tard, vers 2002, quand son utilisation nouvelle de l’acrylique et d’autres grandes tâches de couleur régénéra l’œuvre de Fred Deux dans une direction nouvelle. Ce sera le cas, surtout, après son opération, en 2011. Passée la joie des premiers dessins, « Fred Deux le dur » et « Je veux m’arrêter sans le pouvoir », il se savait diminué.
Nous respections un cérémonial pour le choix de ses œuvres récentes. Fred Deux me les montrait toutes, sans avoir mis de côté celles qu’il préférait comme il en avait pris l’habitude auparavant, une à une, à plat sur son bureau. Je lui demandais souvent de les tenir suspendues, une meilleure façon de sentir leur force. Quand j’étais enthousiaste, je prenais sa place pour partager mon émotion.
J’essayais de choisir avec légèreté, détendu, de ne pas paraître examinateur, sans critiquer, ou pire dire que j’aimais telle partie mais pas telle autre d’un dessin. Certains galeristes s’y sont essayés. Fred ne leur a jamais pardonné. Il ne supportait aucune interférence extérieure dans sa création, même de ses proches.
Je regardais ses meilleures œuvres longuement avec lui, passais sur les autres sans rien dire.
Il m’est, certes, arrivé d’acheter des œuvres moins convaincantes dans les courtes périodes où il piétinait, et les derniers mois. Je savais que je ne les montrerai pas à la galerie mais il était important de le soutenir psychologiquement, sans m’extasier pour autant.
Un regard objectif, respectueux sans complaisance, aide les artistes les plus libres. En tous cas, je l’espère. Le difficile accompagnement de la création est l’une de nos missions. C’est quelque chose d’intime qui nécessite de la modestie et la confiance réciproque de ceux qui peuvent communiquer à demi-mot.
A.M.
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