« Tout ce que le peintre choisit pour nous apprendre à le voir »

Jean Hélion, "Passants et voiture", 1966, encre, aquarelle et gouache sur papier, 30 x 40 cm

« Rien d’insolite dans une voiture automobile. Cet ustensile, pris comme sujet de nature morte, n’a jusqu’ici été qu’un thème futuriste, ne valant pas de loin le verre, la bouteille. Les longues files de ces outils le long des trottoirs, leur accumulation magnétique, leur encombrement, leur banalité obsédante, tout cela est soudain transmué en valeur plastique et, par conséquent, nous oblige à reconsidérer cet objet, le voir à la fois comme plus aberrant et plus naturel qu’il ne semble, c’est-à-dire à le voir tel qu’il est. Il en est de même des amoureux qui s’embrassent sur un banc, qui font la ventouse comme on dit, spectacle habituel et d’une fadeur quelque peu écœurante ; et de même encore, de ces cafés aquariums où les consommateurs prennent plaisir à s’exhiber en train de bavocher dans un demi ou de saliver sur un sandouiche pain riche avec ou sans beurre. Et, grâce à Helion, tout à coup on s’exclame : « comme c’est beau! » Oui, comme c’est beau, un égoutier qui s’extrait du trottoir, un terrassier dont la pioche luit, la plateforme d’un autobus, un square avec ses bancs vert pomme et ses bannettes à papier. Comme étaient beaux les toits, les charrues, les citrouilles de toiles antérieures, tout ce que le peintre choisit pour nous apprendre à le voir. »

Raymond Queneau, 1967

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