Regard sur Michel Macréau

Michel Macréau, « Le masque », 1963, encre de Chine sur papier, 31,5 x 24 cm

Michel Macréau : de la représentation à la déréalisation

Un visage a l’air plutôt serein occupe la quasi-totalité de la surface picturale. Ses yeux regardent le spectateur de manière frontale, l’un en forme d’amande, l’autre plus rond, presque globuleux. De longs cils habillent ses paupières. Son nez semble quelque peu accidenté tandis que ses lèvres, pulpeuses, sont presque closes.

Ce personnage est apprêté. Coquet, il porte une sorte de grand chapeau à plumes, un col en dentelle habille son cou, son chemisier est élégamment décoré. Nous remarquons aussi qu’il porte un médaillon orné d’une croix. Il pourrait s’agir d’une femme, endimanchée.

Les formes qui composent ce visage sont sinueuses, tout en courbes, le dessin semble s’animer sous nos yeux, comme dans une apparition, une sorte de vision hallucinatoire.

L’encre de Chine permet une alternance entre noirs soutenus et fonds clairs rythmant la composition. Ce noir participe à la construction de l’oeuvre et en souligne certains éléments : il se déploie en cercle autour de l’oreille droite du personnage dans un rapport de symétrie avec son oeil gauche, puis son nez, souligné de noir profond également. Le médaillon, d’un noir plus léger qui tend vers le gris anthracite, presque au centre de la composition, donne du rythme à l’ensemble. La signature de l’artiste, dans l’angle inférieur droit, est discrète mais bien visible. En diagonale, elle participe aussi au mouvement de l’oeuvre. Les lignes qui la soulignent donnent la sensation que la composition bouge.

L’apparente sérénité de ce visage revêt aussi une facette plus sombre. Nous ressentons alors une certaine souffrance qui en émane. Elle s’exprime par des signes qui apparaissent ça et là comme les stigmates d’une vie tourmentée.

Au niveau de sa poitrine, le protagoniste porte une croix, précédée d’un ruban, symbole de la lutte contre la maladie. Des formes triangulaires dont les tiges se terminent par de petits cercles tombent de ses yeux, métaphore de larmes difficilement contenues. Les nombreux détails qui habillent sa peau pourraient être des cicatrices.

Ce personnage incarne une dualité inhérente à l’être humain, cette faculté de dissimuler et d’enfouir ses émotions sous un masque, qui ressurgissent parfois de manière insoupçonnée. Etymologiquement, le mot masque vient du latin persona qui désignait précisément les masques que portaient les acteurs de théâtre. Le mot latin est étonnamment proche du mot « personne ». Ce masque prend alors le sens d’interface entre l’individu et autrui comme le reflet, ici, du destin douloureux d’un être incompris.

On glisse peu à peu de la représentation à la déréalisation pour entrer dans un champ plus de l’ordre du mental et du symbolique que de la réalité extérieure. Michel Macréau ne nous encourage pas seulement à regarder, il nous fait voir au delà des apparences. Son oeuvre interpelle. Il parvient, à travers des images pleines de symboles, à étendre ses propres questionnements, existentiels, au spectateur.

« Je peux faire une peinture sans savoir qui je suis. Mais la peinture que j’ai faite, d’une certaine façon, dans la mesure où je peux la lire, elle me renseigne sur qui je suis », disait-il.

A.M

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