Choses vécues, avec Fred Deux 1/8
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I- Rencontre
J’ai rencontré Fred Deux en 1999. Je possédais déjà quelques œuvres de lui que j’avais décidé de montrer dans le cadre d’une exposition collective sur le dessin. Je lui avais envoyé une lettre et le carton d’invitation, où selon mon habitude, j’avais rédigé un court texte.
« Comment peut-on encore écrire des choses pareilles de nos jours ?», m’a-t-il répondu.
Quelques jours après une visite de reconnaissance incognito de son épouse, Cécile Reims, lors d’un déjeuner, je sors un court instant acheter un dessert dans une pâtisserie voisine. Un monsieur d’un certain âge entre, puis me dit courtoisement : « Je sais que la galerie est fermée, je reviens tout à l’heure, je suis Fred Deux ». Et moi de lui répondre : « Puisque vous êtes Fred Deux, venez partager ces gâteaux avec nous ».
Cette réponse l’a enchanté. Il la racontera sur France Culture quelques mois après. Notre entente a été immédiate. À la fin du déjeuner : « Je n’ai pas pu prendre des dessins avec moi, pourquoi vous ne viendrez pas en choisir à la Châtre la semaine prochaine »?
Le lundi suivant, il vient me chercher à la gare de Châteauroux, au volant d’une golf GTI, un peu trop rapide à mon gré. La discussion est animée, également à table. Je remercie Cécile pour son déjeuner. « Vous n’en direz peut-être pas autant la cinquième fois, me dit-il amusé, c’est toujours la même chose »!
Puis nous passons aux choses sérieuses : le choix des dessins, au premier étage, dans ce qui ressemblait plus à un bureau ordonné mais encombré qu’à un atelier.
J’ouvre le carton qu’il avait préparé. Les premiers dessins ne me convainquent pas, au point de finir par m’interroger : « Me serais-je enthousiasmé trop vite ou le deuxième verre de vin était-il de trop »?
Puis à mon grand soulagement, plusieurs œuvres m’intriguent, restent indéchiffrables et me donnent envie de les revoir. Elles sont vivantes. Les meilleurs dessins de Fred Deux sont d’une qualité exceptionnelle, rarement égalée, mais surtout ils peuvent toucher profondément. J’y sens un mystère, un monde qui existe, que je n’ai pas exploré et qui s’ouvre à moi, un pourquoi à découvrir. Pourquoi cette présence à la fois fantomatique et physique, ces visages plus lunaires que solaires, nourris d’une vie intérieure charnelle, animale et végétale, des liaisons nerveuses en forme de racines?
Je choisis ces dessins, les emporte, les regarde attentivement à la galerie. Huit jours plus tard, un petit mot de Fred : « Merci pour votre chèque luxueux ». Depuis la crise de 1992-93, les galeries n’achetaient plus aux artistes, même âgés, qui en avaient le plus grand besoin.
A.M.
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