Rencontre avec Macréau
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Ce tableau, de 1967, dégage une première sensation étrange. Ses couleurs sont dures : le blanc de la toile parfois épaissi de traînées blanches échappées d’un gris ; de grands aplats noirs qui le cernent ; le rouge d’une tâche près du cerveau, celui de la fourche veineuse près du cœur.
Les deux autres teintes occupent une place mineure : le bleu d’un petit rond et l’orangé d’une guirlande ornementale soulignent l’allure clownesque, triste, d’un nez rouge qui se termine en moustache.
Cet autoportrait aux allures enfantines jaillit du plus profond d’une poitrine où se niche un soleil tournant à la Van Gogh. Deux bras s’élèvent, disent leur impuissance. Du noir épais s’empâte dans un poumon avant d’irriguer la fente étroite d’une large bouche agrafée. Un œil encore vivant se replie sur son monde intérieur, l’autre s’étale hagard, sans prise.
Macréau se met à nu, dans un moment de désarroi qui pourrait friser la folie. Est-il condamné au silence après six années de création intense où il voulait « faire sauter les barrières » ? Est-il rejeté du champ artistique, après l’échec de sa participation à l’exposition de Gassiot-Talabot sur la figuration narrative ? « Ce que je faisais avait-il un sens? Était-ce de l’art ? »
Après une courte période de succès, Macréau ne compte plus à Paris que sur quelques amis. Son découragement est aggravé par de sérieux problèmes psychologiques.
L’œuvre s’inscrit pourtant, elle aussi, dans l’histoire de l’art, mais différemment des précédentes, dans une filiation avec le mouvement Cobra du début des années 50, de Karel Appel, puis de Corneille qui l’a beaucoup défendu, de leur approche directe et intuitive de la création, de l’importance de la matière pour traduire une psyché.
Elle inaugure une nouvelle période où l’artiste créera peu, jusqu’à l’arrivée de la génération Keith Haring, Combas, Basquiat, au début des années 80, qui le sortira d’une longue léthargie, pour, cette fois, produire un peu trop, à la demande pressante de ses marchands, parce que Macréau était redevenu, temporairement, à la mode.
Ce portrait de Macréau me remémore nos rencontres, le jour où, après le succès d’une première exposition à la galerie, début 1994, il m’invite à déjeuner « parce qu’il est plein aux as ». Il n’ouvrira la bouche qu’avec parcimonie, mais sans se départir de son humour, me fixera avec un double regard, intérieur et extérieur, comme s’il voulait s’accrocher à moi, ou qu’il me jaugeait, je ne sais pas, avant sa fin prochaine.
A.M.
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