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Piéger notre regard

Dado, Sans titre, 1965, huile sur toile, 147 x 114 cm

Dado réussit à piéger notre regard.

La douceur des couleurs claires et la subtilité de la grande masse ronde, aérienne, qui paraît flotter dans l’espace semblent, d’abord, nous inviter dans un monde de féerie. Les traits sont légers et précis, les couleurs lumineuses inépuisables. Le sol est rose, le ciel bleu, reliés par un alignement de touches aux évocations incertaines : fortifications, rochers, ébauches de silhouettes ? La composition est frontale, sans place pour la perspective.

L’absence de profondeur est un élément important. L’imagination créatrice de Dado est concentrée sur un seul plan, vertical, pour centrer à notre tour notre regard sur son propos : l’irregardable. Aucune place pour le théâtral qui détournerait l’attention, comme dans d’autres œuvres qu’il reniera plus tard.

La grande boule nervurée tourne au rythme de rayons, comme une roue qui broie jambes et bras qui se tendent.

La précision des traits fouille l’horreur, découvre progressivement une accumulation de formes humaines, morts ou vivants, innombrables. Elles naissent les une des autres, prolifèrent, laissent percer des regards terrifiants, d’outre-mort, de victimes, de bourreaux, de voyeurs, d’enfants-vieillards endurcis pour survivre.

Les petites fleurs plutôt squelettiques qui parsèment le fond rose se sont installées sur ce charnier vivant, aveuglé de lumière à gauche, végétalisé en vert, à droite, comme si la nature reprenait ses droits.

Au dessous, flotte une autre boule, de taille réduite, à peine visible. Les formes dessinées émergent de leur blancheur, un cocon pour bébés adultes, broyés ou résignés. L’un d’eux a les yeux ouverts, inertes.

L’intelligence de cette peinture, à laquelle Dado avait longuement pensé, met suffisamment mal à l’aise pour casser notre accoutumance aux images de violence et nous forcer à l’analyse aussi bien de leurs ambiguïtés que de nos réactions.

Si le diable se cache dans les détails, c’est dans tous ceux de cette œuvre emblématique du plus sombre du XXe siècle et malheureusement de ce que nous avons déjà vécu du XXIe. Nous ne pouvons pas ne pas penser à la série de Zoran Music : « Nous ne sommes pas les derniers », dont l’un des dessins est actuellement exposé vis à vis de ce Dado à la galerie.

A.M.

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