Jean Hélion, comment voir?
Dans le prolongement de l’importante exposition du Musée d’Art Moderne de Paris, nous avons choisi, du 9 octobre au 21 décembre, une quarantaine de peintures et dessins de Jean Hélion, de 1929 à 1983, avec comme fil directeur sa double approche sensuelle et intellectuelle d’une réalité qui nous aide à vivre parce qu’elle nous échappe.
La plupart des œuvres d’Hélion sont à la croisée de l’abstraction et de la figuration, sans que l’on sache toujours laquelle engendre l’autre. Hélion révèle l’abstraction des fleurs et des feuilles en les observant attentivement; campe à travers un patchwork de couleurs et de formes, ou d’une simple touche, des types qu’il inscrit dans une nouvelle mythologie, le recueillement de certains gestes et attitudes familiers; dévoile avec lenteur la beauté d’une femme ou d’un lieu…
Jean Hélion enrichit ce qu’il montre de souvenirs, de désirs, de culture; nous oblige à regarder ce que nous ne voulions pas voir parce que laid, trivial, vulgaire, sans intérêt; met en scène la révolte de ces choses là pour affirmer, parfois violemment, leur présence : écailles sur un mur, caniveaux, bouts de tuyaux de poêles coupants, papiers froissés, peignes ébréchés, fils électriques, plinthes, cabas, vieux képis… Il capte aussi notre attention par l’érotisme caché des choses, des choux, des citrouilles…, procède à des rapprochements qui intriguent, multiplie les séquences sur un même support. Dans les années 60-70, il accentue les écarts entre la vision de près, celle de l’écriture pour rappeler la fiction de ce qui est montré, l’impossibilité de la figuration, et la vision de loin, là où les choses se précisent et se révèlent, comme au théâtre. Souvent les visages sont masqués.
Je suis tenté, depuis 40 ans par un raccourci fulgurant entre les extrêmes : l’abstrait et le concret, le plat et le rond, la chose et l’esprit. Je tâtonne. Je le sens proche. Mais est-ce que je parviens à vous le montrer, a-t-il écrit en 1978?
L’œuvre d’Hélion est innovante et d’une rare complexité. Il n’est pas étonnant qu’il ait fallu plus de 50 ans, pour commencer à saisir toute la beauté.
A.M.