ma plage

Le soir, au coucher du soleil, la nature me peint d’immenses toiles, m’a déclaré un jour René Laubiès. Sans emphase, comme une évidence banale, il affirmait ainsi, non seulement sa passion pour des spectacles de nature minutieusement choisis (ciels, bords de mer, immensités désertiques), mais aussi une conviction forte qui ne fait pourtant pas consensus dans le monde de l’art : la nature n’est pas un objet intégrable au gré de l’artiste dans une composition, soumise à sa volonté, elle est elle-même sujet, actrice et créatrice. Elle crée de la beauté signifiante, se manifeste en acte pictural, magnifique, qui se dévoile en se faisant. Le peintre doit donc laisser la nature respirer et se déployer sans entraves. Il lui faut effacer le superflu, les effets de beauté stériles tout comme les excès de pensée sclérosants.
Je n’ai jamais cherché à faire une œuvre mais à participer au flux de l’univers, à la vie. Il faut être dégagé de tout pour être dans un état de réception. Il faut perdre son soi, s’oublier, être complètement réceptif à la Nature, laisser la Nature s’exprimer au travers de vous.
Il ne s’agit pas de reproduire fidèlement son apparence, ce que Laubiès jugeait sans intérêt, mais de transmettre son essence, ce qui l’anime au-delà et en deçà des apparences. Je peins abstrait parce que la nature est abstraite.
Son abandon de la calligraphie après 1957, malgré la force de ses œuvres et leur reconnaissance internationale (aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie…) n’était pas un renoncement aux signes, mais un pas supplémentaire vers la compréhension de la nature. Les signes ne sont plus pour Laubiès calligraphie, création humaine : ils représentent un relevé de ceux que crée la nature. Laubiès se contente d’en dégager la forme signifiante qui donne leur rythme à ses paysages : bords de mers qui se démultiplient à marée basse, vagues silhouettes de pêcheurs sur des barques qui apparaissent et disparaissent au gré des flots…, autant d’écritures de nature qui, désormais, scanderont nombre de ses œuvres.
Trois mois après sa mort, apparut miraculeusement dans mon courrier une enveloppe écrite de sa main, avec à l’intérieur une photo découpée en largeur, portant seulement cette inscription, au dos : ma plage. Les signes que Laubiès a su dégager sont là : bord de mer, vagues, horizon. Grâce à la lenteur de la poste indienne, sa plage se détachait jusqu’à la galerie, et avec elle, la contribution discrète et essentielle de Laubiès à l’histoire de l’art.
A.M.

